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LA MAIN DE FER

demande que la faveur d’un essai avant de me juger !… Si vous n’êtes pas satisfait de moi, je reprendrai la route de France sans délai !… Je vous disais, il y a un instant, reprit-il, que, fait prisonnier je fus conduit à Métasse. J’y fus détenu six mois, et ensuite échangé contre le fils du gouverneur de cette place et l’on me renvoya en France…

— Vous revîntes en France ?

— Oui, mais je n’y restai que fort peu de temps ; ayant reçu du roi trois cents livres je me procurai cette main articulée pour remplacer celle qui me manquait, et je repartis pour la Sicile où je fis la campagne en qualité de volontaire sur les galères, jusqu’à la conclusion de la paix de Nimègue, qui me jeta de nouveau sur le carreau, sans emploi !

Il s’empressa d’ajouter :

— Je me rends bien compte que si j’ai bien pu finir la campagne de Sicile avec une main de cuivre, ce pourrait être une affaire toute différente dans les contrées sauvages du Canada, mais j’ai conscience que vous aurez lieu d’être content de moi !

— Je vous crois, dit De la Salle, et prenant un verre de vin il salua son convive de ces mots :

— Au succès de mon lieutenant en Canada !

Tonty se hâta d’y faire honneur, et répondit :

— Merci !… Et à la pleine réussite de vos projets !…

Il fut donc convenu que Tonty suivrait De la Salle.

Celui-ci entretint longuement son nouvel assistant et lui exposa clairement le tableau des plans qu’il méditait pour les pays d’outremer.

Ils se séparèrent enfin, mais en convenant d’un rendez-vous pour quelques jours plus tard.

Que dirais-je encore ? Ils se revirent plusieurs fois encore après cela. C’était une école pour notre chevalier, car au sortir de ces entretiens il possédait de plus amples notions de notre colonie.

Quelques jours de réclusion sous terre ennuyèrent énormément le beau Jolicœur, et malgré sa prudence, il ne put résister à l’envie qui le brûlait de mettre le nez dehors.

Il se risqua graduellement à reparaître sur le pavé de Paris, mais il se tint au loin de ses anciens quartiers, craignant, peut-être avec raison, de faire une mauvaise rencontre.

Un jour, il vit passer M. de la Salle dans une chaise à porteurs. Cette vue réveilla sa haine un instant oubliée durant son émoi causé par son appréhension d’être arrêté.

Dès lors l’esprit de vengeance le tenailla incessamment et lui souffla les plus noirs projets.

Tant que celui qu’il redoutait habiterait Paris, ce serait comme l’épée de Damoclès suspendue sur sa tête. Si jamais son ancien maître le rencontrait, il n’avait pas de doute qu’il serait pris immédiatement. En second lieu, les limiers du vicomte d’Argenson lui donnaient le cauchemar ; il s’imaginait presque toujours voir l’un d’eux briser le fil qui retenait en l’air l’arme redoutable.

Et comme il soutenait son innocence du crime imputé, il en rageait ! S’il était coupable comment expliquer son attitude ? Par l’irritation d’avoir été découvert et exposé ; par la jalousie que nourrit tout fourbe envers ce qui est droit et bon. Mais s’il était innocent ? Ah ! le lecteur s’expliquera bien toute la révolte animant le malheureux, déchu depuis ce jour fatal où il connut injustement l’opprobre publique, pauvre victime de circonstances impossibles à contrôler.

Parce que Jolicœur continuait à se dire innocent sans que rien vînt affirmer la véracité de sa parole, méritait-il d’être cru ? Il y a des êtres à la conscience maculée qui finissent par ajouter bonne foi entièrement à leur version, à force de se la répéter à eux et à ceux qui daignent les entendre.

Dans quelle catégorie classer cet homme ? Faute de preuves matérielles faisons-lui le bénéfice du doute.

Jolicœur machinait donc un projet qui devait satisfaire les sentiments de son cœur.

Seul, il ne pouvait rien, aussi dut-il s’associer un couple de spadassins de ses connaissances, jolis oiseaux dignes du gibet, et qui mirent leurs brettes à son service, moyennant une part dans le butin que Jolicœur leur assura être riche.

Il n’y avait plus qu’à épier M. de la Salle et profitant d’un soir obscur, à son retour d’une soirée ou d’un diner, de lui tomber dessus l’épée haute.

Trois contre un ! Il succomberait prestement, le temps de le dire. On ne lui permettrait pas de se reconnaître tant l’attaque serait brusque.

À qui sait attendre tout vient à point ! Et