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LA MAIN DE FER

sauvages de l’Amérique, qu’il voulait pratiquer sur échelle colossale ; des découvertes qu’il prévoyait à l’ouest et au sud des Grands Lacs canadiens. Tonty l’écoutait ravi, car cette vie aventureuse lui souriait, lui qui, depuis sa tendre enfance, vivait au sein des vicissitudes, des misères causées par les événements que nous allons mentionner.

Le père d’Henry était un banquier napolitain, jouissant d’une certaine renommée comme financier. En juillet 1647, les Lazzaroni de Naples se révoltèrent contre une mesure arbitraire que voulait leur imposer le vice-roi espagnol, le duc d’Arcos, et, le célèbre peintre Salvator Rosa ainsi que Lorenzo Tonty, furent du nombre de ceux qui se joignirent aux pêcheurs italiens que commandait Massaniello. Tonty s’empara de la forteresse de Gaëte, près de la ville, et s’y maintint durant le règne éphémère de Massaniello. Ce dernier, grisé par le succès d’abord obtenu, voulut jouer au despote, mais ses partisans qui refusaient d’accepter les impôts du duc, ne pouvaient tolérer en leur propre chef des caprices tyranniques. C’eût été tomber de Charybde en Scylla, aussi s’en débarrassèrent-ils promptement, en l’assassinant.

À la suite de cette affaire, les Lazzaroni n’ayant plus de guide, et la zizanie régnant parmi eux, Tonty les abandonna et se réfugia à Paris, où son concitoyen le Cardinal Mazarin, alors premier ministre de France, exerçait une grande autorité.

En ce temps-là les frais de guerre et des fonctionnaires malhonnêtes avaient mis à sec le trésor royal.

En 1653, Lorenzo Tonty suggéra au Cardinal un moyen de remplir la caisse du roi, par des emprunts et des rentes viagères dont les extinctions profitent aux survivants : on les appela Tontines. Le premier essai n’eut point de réussite.

Le gentilhomme napolitain, après l’échec subit dans son projet soumis à Mazarin, fut en défaveur et vit s’évanouir ses chances d’avancement, et pendant quelques années végéta tristement.

Henry dont la naissance remonte à 1650, venait d’atteindre sa dix-huitième année, âge auquel une carrière s’impose. Il opta pour la marine, et son père le plaça en qualité de cadet, à Marseille. L’année suivante, Lorenzo pour un motif resté inconnu, fut incarcéré à la Bastille, d’où il ne sortit que huit ans plus tard, pour mourir misérablement, pendant que le gouvernement de Louis XIV battait monnaie avec son invention.

Deux ans après Henry servait comme garde-marine. Il remplit cette charge jusqu’en 1674.

Il fit sept campagnes, dont quatre à bord des vaisseaux de guerre, et trois sur les galères.

Cela nous porte à 1677. Il était alors à Messine, en Sicile, remplissant les fonctions de capitaine-lieutenant du mestre de camp qui commandait vingt mille hommes. Il portait en plus le grade de capitaine-lieutenant de la brigade de Vintimille.

Henry, comme tous les braves, d’ailleurs, racontait sans forfanterie ses prouesses, ses faits d’armes.

Écoutons-le plutôt lorsqu’il s’exprime sur un combat où il perdit la main droite :

— Voyant l’ennemi s’avancer pour attaquer la porte de Libisso, fîmes une sortie. Au fort de la mêlée j’eus la main droite emportée par une grenade. Nous eûmes le dessus, et nos gens rentrèrent en désordre dans la ville, mais je fus fait prisonnier ainsi que quelques autres et conduit à Métasse. En route, je perdais beaucoup de sang par ma blessure et me sentais affaiblir ; aussi, je résolus de ne pas attendre la présence d’un chirurgien pour faire l’opération nécessaire. Je pris un couteau et je me coupai le poing, puis j’arrangeai les chairs sanglantes et je me ligaturai le poignet…

— Comment ! s’écria De la Salle, vous n’avez qu’une main de bonne et la gauche avec cela ?

Le chevalier sourit et dit en montrant sa main droite :

— J’ai remplacé la main perdue par une autre en cuivre. Je m’en trouve assez bien, quoique je sois plus gauche avec, fit-il en riant, que lorsque j’emploie la gauche.

— Corbleu ! je le crois. Mais, mon cher monsieur de Tonty, je crains que cela ne vous nuise en Canada, dans la vie qu’il nous faut suivre. Il se trouvera des circonstances, des cas imprévus où votre vie et celle de vos hommes dépendront de votre habileté à vous servir de vos deux mains… Et si votre main droite se prête avec difficultés aux manœuvres que vous voudrez lui imposer, et que votre gauche soit inhabile à suivre les commandements que votre esprit lui donnera, des inconvénients graves, sérieux peuvent en résulter !…

M. de la Salle, dit Tonty, je ne vous