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grations individuelles ? Une colonie d’apôtres ! mais n’est-ce pas là une utopie, une brillante chimère ?

« Non, Messieurs, une colonie d’apôtres n’est pas chose impossible. Eh quoi ! Dieu ne peut-il pas réunir ensemble par les secrets ressorts de sa providence un nombre suffisant d’hommes apostoliques pour en faire une colonie ? et, s’il le faut, ne peut-il pas en créer tout exprès ? Sans doute, il le peut ; mais l’a-t-il fait ? Dans tout le cours des siècles, nous en trouvons un exemple, un seul ;… et cette colonie modèle, que l’on regarderait comme un beau rêve, si elle n’existait pas ; cette colonie, fidèle expression de l’idéal que nous nous sommes tracé, faut-il vous la nommer ? c’est Montréal…

« Oui, chère cité de Montréal, j’aime à t’admirer maintenant dans l’éclat de ta force et de ta beauté, couronnée de monuments superbes, élargissant ton enceinte pour recevoir un peuple d’enfants adoptifs dont tu fais le bonheur !… Mais j’aime bien mieux encore te contempler dans ton berceau.

« D’autres colonies ne sont parvenues qu’à force de travaux à effacer la souillure originelle, qui stigmatisa leurs fronts naissants ; — mais, toi, ô cité de Marie, ton front fut toujours pur et sans tache. Que d’autres cités rougissent, quand on leur jette à la face les noms de leurs fondateurs ! — pour toi, le nom de tes pères est ton plus beau titre à la gloire.

« Un enfant se plaît à entendre raconter les hauts faits de ses ancêtres ; son œil étincelle alors, son cœur bat avec violence, et il sent que lui aussi est capable de grandes choses, et que le même sang coule dans ses veines. Messieurs, je vais vous parler des premiers fondateurs de Montréal, vos illustres aïeux ; le sujet que je développe n’a pas besoin que l’habileté de l’auteur y répande de l’intérêt : les faits parleront assez éloquemment par eux-mêmes ; pour être intéressant, il suffit ici d’être vrai. »

M. Rouxel a fort bien rempli cette promesse dans la suite de sa lecture. Il a su donner de l’intérêt à tous les évènements qui se rattachent à la colonisation de ce pays. On aime sa patrie quand on entend dire de si belles choses de ses ancêtres : on est fier d’être canadien. Le savant lectureur continue ainsi :

« C’était vers la fin du règne de Louis  XIII ; le Canada découvert depuis un siècle n’avait encore d’autres habitants que des tribus féroces dont le nom seul était un épouvantail, qu’on ne pouvait entendre sans frémir. Aussi Québec n’était qu’un village ; les possessions de la France sur les bords du St. Laurent se réduisaient à quelques postes isolés, et les chercheurs d’aventures s’éloignaient de cette contrée inhospitalière.

« Mais Dieu avait décrété qu’au cœur même de ces pays barbares une cité serait fondée, qui sous le nom et la sauvegarde de Marie, serait en même temps le boulevard extrême de la civilisation, et le foyer d’où la lumière de l’Évangile rayonnerait dans ces contrées assises à l’ombre de la mort.

« Pour cette grande œuvre il suscita deux apôtres, un prêtre et un laïque, M. Olier et M. de la Dauversière : ils étaient encore inconnus l’un à l’autre, et déjà tous deux avaient reçu d’en haut les mêmes lumières ; ils se rencontrent, se communiquent leurs desseins ; et la fondation d’une colonie dans l’île de Montréal est résolue.

« Bientôt des magistrats, des grands seigneurs, des ecclésiastiques de condition, des dames de la première noblesse, s’estiment heureux et indignes d’être reçus parmi les membres de la Compagnie de N. D. de Montréal. Aussi ingénieux à cacher leurs libéralités qu’on l’est ordinairement à les produire, presque toutes n’étaient connues que de Dieu seul ; entr’autres madame de Boullion, à qui nous devons la fondation de l’Hôtel-Dieu, ne fut jamais désignée pendant sa vie, que sous le nom mystérieux de la Bienfaitrice inconnue. Leur modestie a su s’envelopper d’un silence si profond, que plusieurs de ces noms que Dieu a inscrits en lettres d’or dans le livre de vie se sont pour toujours dérobés aux recherches les plus laborieuses de l’histoire et à la juste admiration de la postérité.

« Afin de mieux apprécier la pureté des motifs dont ils étaient animés, écoutons-les eux-mêmes, exposant leurs projets dans une apologie authentique qu’ils firent imprimer sous ce titre : Les véritables motifs des Messieurs et Dames de la Société de Montréal.

« Il ne faut pas mesurer, disent-ils, les pensées de Dieu avec les nôtres, ni estimer qu’il nous ait ouvert, à travers tant de mers, ces chemins auparavant inconnus, pour en rapporter seulement des castors et des pelleteries. Cela est bon pour la bassesse des desseins des hommes, mais trop éloigné de la majesté et de la profondeur de ses voies, et des inventions secrètes et admirables de sa bonté… Nous nous proposons, ajoutent-ils, de faire célébrer les louanges de Dieu dans un désert où J. C. n’a point été nommé, et qui auparavant était le repaire des démons. »


« Ensuite ils réfutent les accusations de