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LES PREMIERS COLONS DE MONTRÉAL[1]

PAR


MESSIRE ROUXEL PRÊTRE SULPICIEN.


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« Messieurs,

« Rien de plus attrayant dans l’histoire des nations, que d’étudier la naissance et l’accroissement des colonies, qui ont successivement peuplé l’univers ; et dans l’histoire des colonies elles-mêmes, rien de plus intéressant que de rechercher les motifs si variés, si disparates, qui contrebalancèrent l’amour de la patrie dans le cœur des premiers fondateurs.

« Quelquefois le sol natal, ruiné par la famine, ou naturellement stérile, ou surchargé d’une population excessive, ne peut plus nourrir tous ses enfants ; alors il en déverse le trop-plein sur des contrées désertes ou plus fertiles… Ainsi, quand l’empire romain expirait épuisé de vieillesse et de débauche, les régions septentrionales de l’Europe jetèrent sur lui un essaim de nouvelles nations, sans se dépeupler elle-mêmes.

« Le plus souvent, surtout depuis trois siècles, la fondation des colonies fut inspirée par la soif des richesses. Sans parler de ces compagnies de commerce, qui ressemblent à des républiques colossales, l’exemple le plus singulier que l’on puisse citer en ce genre, c’est bien ce nouvel État qui s’improvise dans une contrée à peine connue il y a dix ans : le berceau de la Californie fut une mine, et ses premiers colons furent des chercheurs d’or.

« N’a-t-on pas vu même des colonies dont les fondateurs furent des criminels ou des séditieux, que la société avait vomis avec horreur de son sein, ou qui poursuivis par la justice vengeresse de la patrie, allaient sous d’autres cieux, cacher leur honte et chercher l’impunité ? Eh ! que fut Rome à sa naissance ? un amas de chaumières peuplées par des pâtres sauvages et des brigands.

« D’autres fois, opprimés par l’injustice des lois ou le despotisme capricieux d’un tyran, des citoyens paisibles ont mieux aimé la liberté sur la terre d’exil, que l’esclavage au sein de la patrie. Sans les cruautés de Pygmalion, Carthage n’eût jamais existé. Et, si nous ouvrons l’histoire moderne, le Maryland a dû sa naissance à une troupe de fervents catholiques, qui, persécutés comme des criminels de lèse-majesté, parce qu’ils refusaient d’être des parjures et des apostats, allèrent planter la croix sur les bords du Chesapeake, et vivre en paix à son ombre. Oh ! qu’elle est belle et pure cette colonie de confesseurs de la foi, qui renoncent à leur patrie terrestre pour se soustraire aux séductions et aux tracasseries de l’erreur ! Hélas ! pourquoi faut-il qu’elle ait été presque aussitôt étouffée par des sectaires ingrats, que sa charité avait reçus à bras ouverts et réchauffés dans son sein ? Honneur éternel aux premiers pélerins du Maryland ! oui, car les motifs qui les animaient étaient saints et purs ! mais il en est un, plus sublime et plus saint encore.

« Tâchons de nous tracer le type, l’idéal d’une colonie. Imaginons des fondateurs et des colons, non plus poussés par la nécessité de chercher un refuge contre la misère ou la juste animadversion des lois, non plus animés par la soif de l’or ou l’esprit de révolte, non plus même inspirés par le juste et noble désir d’échapper à une oppression tyrannique. Concevons une troupe d’hommes d’élite, qui, s’oubliant eux-mêmes, sacrifient la vie douce et paisible que la patrie leur promet, pour aller vivre sur une plage barbare, travailler à la conversion des peuples sauvages, et périr sous leurs coups. En un mot, pour avoir le type le plus élevé, l’idéal le plus pur d’une colonie, il faut imaginer une colonie d’apôtres.

« Une colonie d’apôtres ! mais l’apostolat n’est-il pas exclusivement réservé aux émi-

  1. Lue le 23 Mai 1857.