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ne vivent pas dans le vide ; ils sont incités à l’épargne. Les familles émigrantes, au contraire, n’ont pas d’abord le stimulant de la propriété : si elles émigrent, ce n’est pas pour améliorer leur situation, c’est uniquement pour ne pas mourir de faim ; pour elles, la question du pain quotidien est tellement pressante qu’elles ne voient pas au delà : « Lavoramo e mangiamo e basta. Nous travaillons et nous mangeons, et cela suffit, » me disait une femme. Tout ce qui dépasse la satisfaction, au moins partielle, des besoins élémentaires de l’homme paraît à ces gens tellement inaccessible qu’ils n’y songent pas. Ce sont des sages, dira-t-on ; mais des sages misérables et déprimés, des sages par force, dont la sagesse tout extérieure n’est d’aucun profit ni pour eux-mêmes ni pour l’humanité. Ils auraient besoin d’un patronage énergique et bienveillant ; nous verrons comment ils sont patronnés.

Il ne faudrait pas cependant établir entre colons et journaliers une distinction trop tranchée. Il y a des familles d’ouvriers dont tous les membres travaillent à la journée, et les colons s’emploient souvent comme journaliers. En réalité, voici comment les choses se passent sur un grand domaine.

Jusqu’à présent, on a fait dans l’Agro romano de la culture nomade : on cultive les céréales sur certaines parties du domaine pendant deux, trois, quatre ans au plus, suivant la fertilité du sol, puis on défriche une autre partie des pâturages, et ainsi de suite. Il n’y a pas d’assolement : la culture ne revient sur le même terrain que de loin