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LE CENTURION

ille qui procul negotiis… J’y trouve en maints endroits la description de mon nouveau domaine. Le poète ne l’a pas trop vanté, mais moi je l’ai fort embelli. Horace y appréciait beaucoup une jolie source, formant ruisseau, et auprès de laquelle il aimait à dormir, couché dans l’herbe. En détournant un peu ce ruisseau, je me suis donné le luxe d’un étang assez spacieux, où je puis faire un peu de pisciculture. J’ai agrandi la maison, et augmenté le nombre des pelouses vertes bordées d’acacias.

J’ai des bois, des prairies, et je suis entouré de montagnes qui me protègent si bien contre la bise que je leur pardonne de borner mes horizons.

Aimer la campagne est un goût distingué, et c’est pour paraître avoir cette distinction que beaucoup d’imbéciles vont s’y ennuyer chaque année pendant quelques semaines.

Mais je t’assure que j’aime vraiment cet isolement et le repos qu’il me donne. Je tiens peut-être ce goût de Virgile et Lucrèce, que j’ai beaucoup lus, et qui avaient plus qu’Horace, à mon avis, l’intelligence des séductions champêtres. Je les relis ici avec un charme nouveau, mais la lecture des Georgiques m’a convaincu que je ne suis pas un vrai cultivateur, ni un vrai pasteur. Virgile était un artiste dans la culture des champs et des bois, et dans l’élevage des troupeaux. À peine suis-je un amateur, et mon petit troupeau n’est guère bon qu’à décorer le paysage.