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LE CENTURION

Sur ces planches étroites qui nous portent, je ne suis pas isolé. Je me sens moins seul avec vous que je ne l’étais dans le cercle d’amis qui m’entourait, quand j’allais rêver sur le mont Palatin. Quel est ce courant mystérieux qui nous entraîne à travers le monde, et qui fait que deux êtres qu’on aurait crus isolés à jamais partent de deux points éloignés de l’horizon terrestre, et viennent se rencontrer en pleine mer, conduits par je ne sais quelle force inconnue ?

Sommes-nous les jouets du hasard ? Ou bien y a-t-il un maître souverain qui dirige nos destinées sans que nous nous en doutions, et dont nous exécutons aveuglément les décrets ?

Et, si ce maître existe, sommes-nous à ce point ses instruments que nous ne puissions pas même commander à nos sentiments ?

Vous le savez, Camilla, je suis Juif, et j’aime ma patrie plus que tout au monde. Quand je l’ai quittée j’avais au cœur la haine de Rome, et ma haine a grandi au milieu des Juifs qui l’habitent.

Aussi éprouvai-je pour vous, quand je vous ai vue tout d’abord sur le pont de la Nausicaa, un sentiment de répulsion qui me semblait invincible, parce que vous êtes Romaine.

Et maintenant, pourquoi ne vous le dirais-je pas ? je ne sais quelle impulsion sympathique me rapproche de vous, et quand j’essaie de m’en rendre compte, je suis obligé de m’avouer à moi-même