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LE CENTURION

Alors il déroula le Cantique des Cantiques et me dit :

— Ce poème est un chant d’amour ; ou plutôt, c’est un colloque passionné entre deux personnages que Salomon appelle le Bien-aimé et la Bien-aimée. Quels sont les noms qui se cachent sous ces deux titres, et dont les voix chantent alternativement ce duo d’amour ? Je n’en sais rien, et mon père enseigne qu’il faut attacher un sens allégorique aux paroles brûlantes que les deux interlocuteurs s’adressent mutuellement.

Alors Gamaliel m’a récité avec un enthousiasme, que j’ai partagé, l’admirable poème de Salomon.

Je ne fis aucune observation ; et nous gardâmes longtemps le silence.

— Si cette belle poésie vous rend muet, lui dis-je enfin, vous feriez mieux d’étudier le Livre de la Sagesse.

Gamaliel sourit à peine, et resta plongé dans une rêverie profonde ; ses yeux étaient fixés sur les rives lointaines de la Lybie, qui rayaient l’horizon d’une longue banderole d’azur sombre.

— À quoi donc songez-vous, demandai-je ?

— Gamaliel réfléchit un instant, puis il dit :

— Je songe à tout ce qu’il y a d’imprévu dans l’existence humaine, et je me demande si c’est fortuit ou providentiel. J’admire l’immensité qui nous entoure, cet infini qui semble bien vide, et dans lequel j’avais imaginé devoir trouver l’isolement complet. Et cependant c’est l’imprévu qui m’arrive.