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Et c’est ainsi que les buffles farouches, battant la prairie de leur galop furieux, la tête hérissée, la gueule fumante, les prunelles rouges s’engageaient entre les deux cornes de la fourche fatale.

Les deux cavaliers traîtres se laissaient alors distancer, et s’élançaient sur les derrières des fuyards. Oh ! la course dramatique ! Oh ! la cavalcade monstrueuse dont la liberté était le but, et dont la mort était le terme fatal !

De plus en plus resserrés entre les deux lignes d’épouvantails qu’ils prenaient pour des guerriers couchés dans la plaine, haletants, convulsifs, emportés par un vent d’épouvante, comme par le chinook irrésistible, ils se croisaient, se heurtaient, se bousculaient, et se cabraient tout-à-coup au bord de l’escarpement.

Mais alors se dressaient dans les foins de chaque côté de la bande affolée deux rangées de démons, criant, hurlant, et dirigeant une fusillade meurtrière sur tous les fuyards qui voulaient prendre la tangente.

Et les malheureuses bêtes, à demi mortes de terreur, écumantes, tragiques, impuissantes à repousser le flot formidable et aveugle des fuyards, étaient précipitées pêle-mêle dans l’abîme. Oh ! la chute effrayante ! Oh ! le terrible holocauste !

Des centaines de cadavres s’amoncelaient au fond du précipice, roulant jusqu’au lit de la rivière ; et pendant plusieurs jours les chasseurs impitoyables faisaient la noce autour de la sanglante hécatombe, écorchant les