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entassait en un seul endroit, non pas tous les ossements, mais les crânes seulement qui jonchent les prairies on en ferait une montagne plus haute que le cap Tourmente !

Hélas ! le sort du buffle est celui de toutes les races et de toutes les choses humaines. Le pays qui voit naître et grandir un peuple le voit aussi décliner et mourir, et tous les berceaux deviennent des tombeaux.

Dieu seul règne éternellement, et regarde passer du haut de son trône immuable les races comme les individus, les siècles aussi bien que les jours.

Cette histoire du buffle mérite d’être racontée, et elle est intimement liée à celle des tribus sauvages de l’Ouest.

Ces pauvres nomades des prairies avaient pour cet animal une sorte de vénération. Il était un élément essentiel de leur prospérité, et même de leur existence. C’était un don, un bien inappréciable qu’ils avaient reçu du Grand-Esprit, et plusieurs gardaient soigneusement dans leurs tentes un crâne de buffle comme un emblème ou un symbole de leur bonheur. Ils s’affublaient même de son nom, et il n’est pas rare encore de rencontrer chez les Pieds-Noirs des chefs qui se nomment Stamik-Otokân, tête de buffle — ou Stamik-Opi, bœuf-assis — ou Newokiske-Stamik, les trois bœufs.

Aujourd’hui, l’extinction du buffle est pour eux la suprême désolation, le sujet de leurs éternels regrets.