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PARIS

nières illusions ; ce poëme de couleurs, de parfums, de larmes et de sourires, il ne l’a pas fait, il ne pourrait plus le faire. » Mais Çà et Là nous dit assez quels chefs-d’œuvre cette âme de poête et cette main d’artiste eussent produits !

Lorsque j’ai connu le grand journaliste, il ne ressentait encore que les premières atteintes de cette espèce de paralysie qui l’étreint maintenant, et son intelligence brillait dans tout son éclat. Mais la maladie lui apportait des heures d’abattement et de tristesse sombre.

Je l’ai vu quelquefois dans ces heures, et il me parlait alors de la France, les larmes aux yeux et le désespoir au cœur. « Il n’y a plus de peuple, il n’y a plus d’aristocratie, il n’y a plus de roi, me disait-il ; tout est désorganisé, et quand vous reverrez votre pays, dites-lui que la France se meurt ! » Puis sa parole devenait amère, et il ajoutait : il n’y a plus en France que deux partis politiques, les repus et les affamés ; il faut que ceux-ci mangent ceux-là et qu’ils en crèvent ! Quand ce sera fait, peut-être pourrons-nous espérer un retour au bien. Mais ce n’est pas nous qui le verrons.

« Vous connaissez l’Exode ? Vous savez que tous les hébreux sortis de l’Égypte, sont morts dans le désert sans voir la Terre-Promise ? Pourquoi ? Parce qu’ils avaient tous mangé des oignons d’Égypte, et qu’ils les regrettaient ! Eh bien, l’oignon d’Égypte moderne, c’est le libéralisme, et nous en avons tous mangé. Si les générations futures n’en mangent pas, elles seront sauvées ; mais la génération actuelle ne verra