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Écoutez l’expression de ses langueurs incomprises :

… … … … Ô nature immortelle !
Pénétrantes senteurs de la feuille nouvelle,
Tranquillité des champs au soleil prosternés,
Est-ce là cet amour dont vous m’entretenez ?
Heureuse… s’il en est une entre mes compagnes,
Celle qui peut marcher à travers les campagnes,
Appuyant tout son cœur sur un bras bien-aimé,
Selon le rêve ardent qu’elle s’était formé !…
Nous partirions, le soir, à cette heure sereine
Où l’ombre et le silence ont apaisé la plaine ;
Nous irions… quel bonheur ! Moi pendue à son bras,
Lui sur mon pas plus lent ralentissant son pas,
Et tous deux regardant tomber la nuit immense
Nous nous enivrerions d’amour et de silence… …

De silence ! Une femme qui veut s’enivrer de silence ! Sincèrement, je doute que ce phénomène existe dans la nature, et s’il existe ce n’est certainement pas Gabrielle puisqu’elle se plait à causer même avec la nature immortelle !

Malheureusement ces effluves poétiques sont soudainement interrompues par le mari qui l’appelle :

Gabrielle !

— Plait-il ?

— « Hors chez nous où voit-on,
Chemise de mari n’avoir pas de bouton ? »

Vous voyez d’ici le tableau. Quelle prose ! Quelle chute des hauteurs éthérées où son imagination nageait, ou plutôt se noyait ! Et surtout quel contraste