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ce que le mal ? qu’est-ce que l’honnête ? Je vous presse de questions, et vous ne me répondez rien ! Vous me parlez de Dieu, d’un Dieu qui m’a créé ; mais pourquoi m’a-t-il créé ? Eh ! n’est-ce pas pour jouir de tout ce bien-être qui est là sous mes yeux, à portée de ma main ? Est-ce pour vivre misérablement pendant que les autres sont heureux, et mourir à la peine, sans espérance ! Ah ! si, au moins, vous me disiez qu’après m’être résigné toute ma vie à mon triste sort, j’aurai une belle récompense… Mais la science n’a rien précisé sur ce point… Si pour comprimer la révolte de mon cœur, vous me disiez qu’il y aura un châtiment terrible pour celui qui n’a pas su souffrir mais il n’y a rien, à cet égard, d’absolument certain. Eh bien ! alors, écoutez moi. Je suis las de souffrir, et je sais bien ce que je vais faire. Puisque vous ne voulez rien me montrer de certain au delà de cette vie, je veux au moins y être aussi heureux que possible : je veux jouir à mon tour ; je veux prendre ma part de tout ce progrès matériel si séduisant, et puisque vous ne m’apportez que cela, puisque, lorsque j’étais affamé d’honnêteté, vous n’avez pas pu me dire ce que c’est que d’être honnête, je ne m’occuperai plus de le savoir, et ce bonheur terrestre que vous me montrez et qui me fait envie, plutôt que d’en être toujours privé, je vais m’en emparer, car je suis le plus fort ! ».

Et M. de Mun continue :

« Ah ! Messieurs, voilà donc où elle aboutit, cette philosophie rationaliste qu’on nous vantait si fort tout à l’heure !