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PARIS

Dans une des salles consacrées à la sculpture on vous montrera, comme le chef-d’œuvre des chefs d’œuvre, la Vénus de Milo, ainsi nommée parce qu’elle fut trouvée en 1820 dans l’île de ce nom.

Je ne sais si vous serez de mon avis, mais il me semble qu’il y a un peu de convention dans les éloges qu’on lui prodigue, et qu’on la trouverait moins belle si elle n’avait pas été déterrée dans une île de la Grèce, et si l’on ne croyait pas qu’elle est dûe au ciseau de quelque grand artiste païen. Sans doute l’exécution technique en est admirable, mais, comme la statue de Pygmalion, ses formes plastiques ne manquent-elles pas un peu de vie ?

Au reste, il faut rendre à l’artiste grec cette justice qu’il a quelque peu habillé sa Vénus — ce que ne font plus les réalistes de nos jours.

On a prétendu imiter l’art grec, depuis la Renaissance ; mais on a choisi comme modèles des œuvres de l’époque de décadence. L’époque la plus brillante fut celle de Phidias, et ce grand artiste, la plus pure gloire de l’art antique, avait choisi Minerve pour idéal et non pas Vénus.

Le réalisme a changé l’esthétique de l’art. Il supprime l’âme et glorifie la chair. Il est la manifestation, non plus de l’idéal, mais de la réalité sans voile.

Ah ! combien l’on regrette cette aberration de l’art moderne, lorsqu’on visite aujourd’hui les musées de peinture et surtout de sculpture de l’Europe ! Combien il y a d’artistes qui ne comprennent pas aujourd’hui leur mission !