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Il y a un contraste frappant entre l’architecture mauresque et la chrétienne. J’en ai été saisi en visitant la mosquée, et plus tard, à Grenade, il s’est encore accentué dans mon esprit lorsque j’ai vu l’Alhambra. C’est que l’art mauresque manque d’élévation, dans le sens même matériel du mot.

Il fait des salles et des cours qui sont des bijoux, des palais qui sont des paradis, des temples qui ont une superficie immense, mais il ne fait rien d’élevé. Il ne lance pas dans les cieux, comme l’art chrétien, ses colonnes, ses arceaux, ses voûtes, ses coupoles et ses flèches.

Sans doute, la mosquée de Cordoue est une merveille ; mais les colonnes manquent de hauteur, les arcs sont bas, et la voûte vous écrase comme un plafond. C’est un promenoir splendide, mais qui ne charme vos yeux que si vous regardez droit devant vous. N’élevez pas vos regards, car le charme serait rompu.

Ah ! Comme j’aime bien mieux ces faisceaux de colonnes fuselées ; qui soulèvent des arcs en ogive et des voûtes élancées à une hauteur immense ! Comme j’aime ces dômes aériens qui semblent être la coupole même des cieux, et d’où les rayons du soleil descendent comme des flèches d’amour !

Sans doute, l’homme se sent encore misérable dans nos temples ; mais quand il lève les yeux, son regard plane dans les hauteurs, et son âme s’envole vers l’Infini. Les peintures qu’il contemple, les attitudes des statues qui l’entourent, les flèches qui s’élancent au-dessus de sa tête et vont se perdre dans la nue, tout lui parle de ce monde supérieur où tendent ses immortelles espérances.