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rocher, les bastions qui s’accrochent à ses flancs, les ouvertures des cavernes où s’allongent les cols monstrueux des canons Armstrong, et même les guérites des sentinelles.

Nous arrivons au pied du promontoire qui grandit toujours et qui semble marcher, tant nous avons de peine à le dépasser. Le soleil est couché quand nous apercevons enfin Gibraltar derrière nous, s’éloignant à l’horizon.

Mais alors le rocher prit un aspect vraiment grand et lugubre.

Le ciel s’était couvert d’un manteau de nuages ; mais, derrière nous, vers le couchant, le bas du manteau était de pourpre et formait une zone lumineuse sur laquelle se détachait le sombre promontoire. Or, vu de cet endroit, il avait, absolument la forme que les marins ont souvent observée, celle d’un cadavre gigantesque étendu sur un catafalque de marbre noir, dressé au milieu de la mer. Le firmament était la coupole sous laquelle le mort paraissait exposé. Au couchant, le bas de l’horizon semblait une alcôve illuminée par les derniers reflets du céleste flambeau descendu sous terre ; et vers l’Orient, à l’autre extrémité de la salle mortuaire, un autre flambeau, la lune, perçait les nuages de sa lueur pâle.

Mais quel est donc ce mort couché dans ce majestueux appareil ? Est-ce l’Espagne ? Est-ce toute la race latine ? Grâce à Dieu nous pouvons encore répondre : Non ! Les peuples catholiques sont malades, mais ils ne sont pas morts, et quand ils le voudront ils seront