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De générosités, mais rien ne lui suffit ;
Elle voudrait pouvoir se plaindre ; elle est aigrie
Par sa condition ; elle est presque maigrie
Par une rage qui la consume au dedans ;
Elle relate tous les jours mille incidents
Dont la suite partout renaissante stimule
Son mécontentement jaloux ; elle accumule
Les désirs de révolte et les petits griefs :
À table on ne lui sert jamais que les reliefs
Des autres, tant mieux s’il en reste ; elle est vêtue
De vieilles robes hors d’usage ; on l’habitue
À ne pas se permettre un avis personnel,
À n’être qu’un écho complaisant, éternel
De la pensée à peine exprimée et du dire
De chacun ; ce qu’on aime il faut qu’elle l’admire,
ll faut qu’elle haïsse aussi tout ce qu’on hait ;
Elle ne compte pas, d’ailleurs, elle se tait,
Le plus souvent passive et sans rôle, muette ;
Sa position dans le monde n’est pas nette ;
On doit la traiter en égale, soi-disant,