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était parvenu à scinder ses lèvres et sa langue en portions indépendantes les unes des autres et à pouvoir sans peine articuler en même temps plusieurs parties enchevêtrées, différant par l’air et par les paroles ; actuellement la moitié gauche remuait tout entière en découvrant les dents, sans entraîner dans ses ondulations la région droite demeurée close et impassible.

Mais une troisième fraction labiale entra bientôt dans le chœur en copiant exactement ses devancières, pendant ce temps la deuxième voix entonnait : « Dormez-vous », égayée par la première, qui introduisait un élément nouveau dans l’ensemble en scandant « Sonnez les matines » sur un rythme alerte et argentin.

Une quatrième fois les mots : « Frère Jacques » se firent entendre, prononcés maintenant par l’extrémité droite, qui venait de rompre son inaction pour compléter le quatuor ; la première voix terminait alors le canon par les syllabes : « Dig, ding, dong », servant de base à « Sonnez les matines » et à « Dormez-vous », nuancés par les deux voix intermédiaires.

L’œil fixe, la paupière dilatée, Ludovic avait besoin d’une tension d’esprit continuelle pour accomplir sans erreur ce tour de force inimitable. La première voix avait repris l’air à son début, et les compartiments buccaux, mus différemment, se partageaient le texte du canon, dont les quatre