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Quand la Doublure parut, le 10 juin 1897, son insuccès me causa un choc d’une violence terrible. J’eus l’impression d’être précipité jusqu’à terre du haut d’un prodigieux sommet de gloire. La secousse alla jusqu’à provoquer chez moi une sorte de maladie de peau qui se traduisit par une rougeur de tout le corps et ma mère me fit examiner par notre médecin, croyant que j’avais la rougeole. De ce choc résulta surtout une effroyable maladie nerveuse dont je souffris pendant bien longtemps.

Je me remis au travail, mais d’une façon plus sage que lors de ma grande crise de surmenage. Pendant quelques années ce fut de la prospection. Aucune de mes œuvres ne me satisfit, sauf Chiquenaude que je publiai vers 1900.

À vingt-cinq ans j’écrivis la Vue. Ce poème parut dans le Gaulois du Dimanche et y fut remarqué par certains lettrés. Une allusion y fut même faite dans le Sire de Vergy, une opérette qu’on jouait alors aux Variétés : un des personnages, je ne sais plus lequel, regardait dans un porte-plume, qu’apportait Ève La Vallière, une vue représentant la bataille de Tolbiac.

Après la Vue, j’écrivis encore le Concert et la Source, puis ce fut de nouveau la prospection pendant plusieurs années, au cours desquelles je publiai seulement (dans le Gaulois du Dimanche) l’Inconsolable et Têtes de Carton du Carnaval de Nice. Cette prospection n’allait pas sans me causer des tourments et il m’est arrivé de me rouler par terre dans des crises de rage, en sentant que je ne pouvais parvenir à me donner les sensations d’art auxquelles j’aspirais.