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qu’ils renoncent à ce vieux préjugé inventé par l’orgueil des grands, que l’art de conduire les peuples est plus difficile que celui de les éclairer ; comme s’il était plus aisé d’engager les hommes à bien faire de leur bon gré, que de les y contraindre par la force : que les savants du premier ordre trouvent dans leurs cours d’honorables asiles ; qu’ils y obtiennent la seule récompense digne d’eux, celle de contribuer par leur crédit au bonheur des peuples à qui ils auront enseigné la sagesse : c’est alors seulement qu’on verra ce que peuvent la vertu, la science et l’autorité animées d’une noble émulation, et travaillant de concert à la félicité du genre humain. Mais tant que la puissance sera seule d’un côté, les lumières et la sagesse seules d’un autre, les savants penseront rarement de grandes choses, les princes en feront plus rarement de belles, et les peuples continueront d’être vils, corrompus, et malheureux.

Pour nous, hommes vulgaires, à qui le ciel n’a point départi de si grands talents, et qu’il ne destine pas à tant de gloire, restons dans notre obscurité. Ne courons point après une réputation qui nous échapperait, et qui, dans l’état présent des choses, ne nous rendrait jamais ce qu’elle nous aurait coûté, quand nous aurions tous les titres pour l’obtenir. À quoi bon chercher notre bonheur dans l’opinion d’autrui, si nous pouvons le trouver en nous-mêmes ? Laissons à d’autres le soin d’instruire les peuples de leurs devoirs, et bornons-nous à bien remplir les nôtres ; nous n’avons pas besoin d’en savoir davantage.