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pera jamais leur oreille ; et s’ils entendent parler de Dieu, ce sera moins pour le craindre que pour en avoir peur[1]. J’aimerais autant, disait un sage, que mon écolier eût passé le temps dans un jeu de paume, au moins le corps en serait plus dispos. Je sais qu’il faut occuper les enfants, et que l’oisiveté est pour eux le danger le plus à craindre. Que faut-il donc qu’ils apprennent ? Voilà certes une belle question ! Qu’ils apprennent ce qu’ils doivent faire étant hommes[2], et non ce qu’ils doivent oublier.

Nos jardins sont ornés de statues et nos galeries de tableaux. Que penseriez-vous que représentent ces chefs-d’œuvre de l’art exposés à l’admiration

  1. Pensées philosophiques*.
  2. Telle était l’éducation des Spartiates, au rapport du plus grand de leurs rois. « C’est, dit Montaigne, chose digne de tresgrande considération, qu’en cette excellente police de Lycurgus, et à la vérité monstrueuse par sa perfection, si soingneuse pourtant de la nourriture des enfants, comme de sa principale charge, et au giste mesme des muses, il s’y face si peu mention de la doctrine : comme si cette généreuse jeunesse desdaignant tout aultre joug, on luy ayt deu fournir, au lieu de nos maistres de science, seulement des maistres de vaillance, prudence et justice. »

    Voyons maintenant comment le même auteur parle des anciens Perses : Platon, dit-il, raconte « que le fils aisné de leur succession royale estoit ainsi nourry. Aprez sa naissance, on le donnoit, non

    *C’est le titre d’un ouvrage dé Diderot, contenant soixante-deux pensées, publié en 1746, et réimprimé depuis sous le titre d’Étrennes aux Esprits forts. La pensée dont Rousseau s’appuie dans cette citation est celle qui porte le numéro xxv. — Il est difficile de croire que dans le manuscrit du discours envoyé à l’Académie, il ait osé citer un ouvrage qu’un arrêt du Parlement avait condamné au feu peu de temps après sa publication. C’était même encore une hardiesse assez grande de le rappeler et de s’en faire un appui dans le discours imprimé. Il est donc bien présumable que cette citation, ainsi que le passage du Discours auquel elle se rapporte, forme une des additions que Rousseau, dans l’avertissement qui précède, déclare avoir faites postérieurement.