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sur des colonnes de marbre, et gravés sur des chapiteaux corinthiens.

Tandis que les commodités de la vie se multiplient, que les arts se perfectionnent, et que le luxe s’étend, le vrai courage s’énerve, les vertus militaires s’évanouissent ; et c’est encore l’ouvrage des sciences et de tous ces arts qui s’exercent dans l’ombre du cabinet. Quand les Goths ravagèrent la Grèce, toutes les bibliothèques ne furent sauvées du feu que par cette opinion semée par l’un d’entre eux, qu’il fallait laisser aux ennemis des meubles si propres à les détourner de l’exercice militaire, et à les amuser à des occupations oisives et sédentaires. Charles VIII se vit maître de la Toscane et du royaume de Naples sans avoir presque tiré l’épée ; et toute sa cour attribua cette facilité inespérée à ce que les princes et la noblesse d’Italie s’amusaient plus à se rendre ingénieux et savants, qu’ils ne s’exerçaient à devenir vigoureux et guerriers. En effet, dit l’homme de sens qui rapporte ces deux traits[1], tous les exemples nous apprennent qu’en cette martiale police, et en toutes celles qui lui sont semblables, l’étude des sciences est bien plus propre à amollir et efféminer les courages qu’à les affermir et les animer.

Les Romains ont avoué que la vertu militaire s’était éteinte parmi eux à mesure qu’ils avaient commencé à se connaître en tableaux, en gravures, en vases d’orfèvrerie, et à cultiver les beaux-arts ; et comme si cette contrée fameuse était des-

  1. Montaigne, liv. i, chap. 24.