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soit un signe certain des richesses ; qu’il serve même si l’on veut à les multiplier : que faudra t-il conclure de ce paradoxe si digne d’être né de nos jours ? et que deviendra la vertu, quand il faudra s’enrichir à quelque prix que ce soit ? Les anciens politiques parlaient sans cesse de mœurs et de vertu ; les nôtres ne parlent que de commerce et d’argent. L’un vous dira qu’un homme vaut en telle contrée la somme qu’on le vendrait à Alger ; un autre, en suivant ce calcul, trouvera des pays ou un homme ne vaut rien, et d’autres où il vaut moins que rien. Ils évaluent les hommes comme des troupeaux de bétail. Selon eux, un homme ne vaut à l’état que la consommation qu’il y fait ; ainsi un Sybarite aurait bien valu trente Lacédémoniens. Qu’on devine donc laquelle de ces deux républiques, de Sparte ou de Sybaris, fut subjugée par une poignée de paysans, et laquelle fit trembler l’Asie.

La monarchie de Cyrus a été conquise avec trente mille hommes par un prince plus pauvre que le moindre des satrapes de Perse ; et les Scythes, le plus misérable de tous les peuples, ont résisté aux plus puissants monarques de l’univers. Deux fameuses républiques se disputèrent l’empire du monde ; l’une était très-riche, l’autre n’avait rien, et ce fut celle-ci qui détruisit l’autre. L’empire romain, à son tour, après avoir englouti toutes les richesses de l’univers, fut la proie des gens qui ne savaient pas même ce que c’était que richesse. Les Francs conquirent les Gaules, les Sa-