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clavage, ont été de tout temps le châtiment des efforts orgueilleux que nous avons faits pour sortir de l’heureuse ignorance où la sagesse éternelle nous avait placés. Le voile épais dont elle a couvert toutes ses opérations semblait nous avertir assez qu’elle ne nous a point destinés à de vaines recherches. Mais est-il quelqu’une de ses leçons dont nous ayons su profiter, ou que nous ayons négligée impunément ? Peuples, sachez donc une fois que la nature a voulu vous préserver de la science, comme une mère arrache une arme dangereuse des mains de son enfant ; que tous les secrets qu’elle vous cache sont autant de maux dont elle vous garantit, et que la peine que vous trouvez à vous instruire n’est pas le moindre de ses bienfaits. Les hommes sont pervers ; ils seraient pires encore, s’ils avaient eu le malheur de naître savants.

Que ces réflexions sont humiliantes pour l’humanité ! que notre orgueil en doit être mortifié ! Quoi ! la probité serait fille de l’ignorance ? la science et la vertu seraient incompatibles ? Quelles conséquences ne tirerait-on point de ces préjugés ? Mais, pour concilier ces contrariétés apparentes, il ne faut qu’examiner de près la vanité et le néant de ces titres orgueilleux qui nous éblouissent, et que nous donnons si gratuitement aux connaissances humaines. Considérons donc les sciences et les arts en eux-mêmes ; voyons ce qui doit résulter de leurs progrès, et ne balançons plus à convenir de tous les points où nos raisonnements se trouveront d’accord avec les inductions historiques.