Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hommes naissent vertueux, et l’air même du pays semble inspirer la vertu. » Il ne nous reste de ses habitants que la mémoire de leurs actions héroïques. De tels monuments vaudraient-ils moins pour nous que les marbres curieux qu’Athènes nous a laissés ?

Quelques sages, il est vrai, ont résisté au torrent général, et se sont garantis du vice dans le séjour des muses. Mais qu’on écoute le jugement que le premier et le plus malheureux d’entre eux portait des savants et des artistes de son temps.

« J’ai examiné, dit-il, les poètes, et je les regarde comme des gens dont le talent en impose à eux-mêmes et aux autres, qui se donnent pour sages, qu’on prend pour tels, et qui ne sont rien moins.

Des poètes, continue Socrate, j’ai passé aux artistes. Personne n’ignorait plus les arts que moi ; personne n’était plus convaincu que les artistes possédaient de fort beaux secrets. Cependant je me suis aperçu que leur condition n’est pas meilleure que celle des poètes, et qu’ils sont, les uns et les autres, dans le même préjugé. Parce que les plus habiles d’entre eux excellent dans leur partie, ils se regardent comme les plus sages des hommes. Cette présomption a terni tout-à-fait leur savoir à mes yeux : de sorte que, me mettant à la place de l’oracle, et me demandant ce que j’aimerais le mieux être, ce que je suis ou ce qu’ils sont, savoir ce qu’ils ont appris ou savoir que je ne sais rien, j’ai répondu à moi-même et au dieu : Je veux rester ce que je suis.