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sciences et les arts les ont affermis. Puissances de la terre, aimez les talents, et protégez ceux qui les cultivent[1]. Peuples policés, cultivez-les : heureux esclaves, vous leur devez ce goût délicat et fin dont vous vous piquez ; cette douceur de caractère et cette urbanité de mœurs qui rendent parmi vous le commerce si liant et si facile ; en un mot, les apparences de toutes les vertus sans en avoir aucune.

C’est par cette sorte de politesse, d’autant plus aimable, qu’elle affecte moins de se montrer, que se distinguèrent autrefois Athènes et Rome dans les jours si vantés de leur magnificence et de leur éclat ; c’est par elle, sans doute, que notre siècle et notre nation l’emporteront sur tous les temps et sur tous les peuples. Un ton philosophe sans pédanterie, des manières naturelles et pourtant prévenantes, également éloignées de la rusticité tudesque et de la pantomime ultramontaine : voilà

  1. Les princes voient toujours avec plaisir le goût des arts agréables et des superfluités, dont l’exportation de l’argent ne résulte pas, s’étendre parmi leurs sujets ; car, outre qu’ils les nourrissent ainsi dans cette petitesse d’ame si propre à la servitude, ils savent très-bien que tous les besoins que le peuple se donne sont autant de chaînes dont il se charge. Alexandre voulant maintenir les Ichtyophages dans sa dépendance, les contraignit de renoncer à la pêche, et de se nourrir des aliments communs aux autres peuples ; et les sauvages de l’Amérique, qui vont tout nus, et qui ne vivent que du produit de leur chasse, n’ont jamais pu être domptés : en effet, quel joug imposerait-on à des hommes qui n’ont besoin de rien*.  ?

    * Ce qui est rapporté ici d’Alexandre a pour fondement un passage de Pline l’ancien, copié depuis par Solin (chapitre 54) : Ichtyophagos omnes Alexander retuit piscibus vivere ( Hist. Nat. lib. vi cap. 25.)