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qu’il a tué, de l’antre qui lui servait l’asile ; mais comment viendra-t-il jamais à bout de s’en faire obéir, et quelles pourront être les chaînes de la dépendance parmi des hommes qui ne possèdent rien ? Si l’on me chasse d’un arbre, j’en suis quitte pour aller à un autre ; si l’on me tourmente dans un lieu, qui m’empêchera de passer ailleurs ? Se trouve-t-il un homme d’une force assez supérieure à la mienne, et, de plus, assez dépravé, assez paresseux, et assez féroce pour me contraindre à pourvoir à sa subsistance pendant qu’il demeure oisif ? Il faut qu’il se résolve à ne pas me perdre de vue un seul instant, à me tenir lié avec un très grand soin durant son sommeil, de peur que je ne m’échappe ou que je ne le tue : c’est-à-dire qu’il est obligé de s’exposer volontairement à une peine beaucoup plus grande que celle qu’il veut éviter, et que celle qu’il me donne à moi-même. Après tout cela, sa vigilance se relâche-t-elle un moment ? Un bruit imprévu lui fait-il détourner la tête ? Je fais vingt pas dans la forêt, mes fers sont brisés, et il ne me revoit de sa vie.

Sans prolonger inutilement ces détails, chacun doit voir que, les liens de la servitude n’étant formés que de la dépendance mutuelle des hommes et des besoins réciproques qui les unissent, il est impossible d’asservir un homme sans l’avoir mis auparavant dans le cas de ne pouvoir se passer d’un autre ; situation qui n’existant pas dans l’état de nature, y laisse chacun libre du joug et rend vaine la loi du plus fort.

Après avoir prouvé que l’inégalité est à peine sensible dans l’état de nature, et que son influence y