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faut chercher la cause de la répugnance que tout homme éprouverait à mal faire, même indépendamment des maximes de l’éducation. Quoiqu’il puisse appartenir à Socrate, et aux esprits de sa trempe, d’acquérir de la vertu par raison, il y a longtemps que le genre humain ne serait plus, si sa conservation n’eût dépendu que des raisonnements de ceux qui le composent. Avec des passions si peu actives, et un frein si salutaire, les hommes plutôt farouches que méchants, et plus attentifs à se garantir du mal qu’ils pouvaient recevoir que tentés d’en faire à autrui, n’étaient pas sujets à des démêlés fort dangereux : comme ils n’avaient entre eux aucune espèce de commerce, qu’ils ne connaissaient par conséquent ni la vanité, ni la considération, ni l’estime, ni le mépris, qu’ils n’avaient pas la moindre notion du tien et du mien, ni aucune véritable idée de la justice, qu’ils regardaient les violences qu’ils pouvaient essuyer comme un mal facile à réparer, et non comme une injure qu’il faut punir, et qu’ils ne songeaient pas même à la vengeance si ce n’est peut-être machinalement et sur-le-champ, comme le chien qui mord la pierre qu’on lui jette, leurs disputes eussent eu rarement des suites sanglantes, si elles n’eussent point eu de sujet plus sensible que la pâture : mais j’en vois un plus dangereux, dont il me reste à parler.

Parmi les passions qui agitent le cœur de l’homme, il en est une ardente, impétueuse, qui rend un sexe nécessaire à l’autre, passion terrible