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ainsi plus bas que la bête même ? Il serait triste pour nous d’être forcés de convenir que cette faculté distinctive et presque illimitée, est la source de tous les malheurs de l’homme ; que c’est elle qui le tire, à force de temps, de cette condition originaire, dans laquelle il coulerait des jours tranquilles et innocents ; que c’est elle qui, faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même et de la nature (Note 9) ? Il serait affreux d’être obligés de louer comme un être bienfaisant celui qui le premier suggéra à l’habitant des rives de l’Orénoque l’usage de ces ais qu’il applique sur les tempes de ses enfants, et qui leur assurent du moins une partie de leur imbécillité, et de leur bonheur originel.

L’homme sauvage, livré par la nature au seul instinct, ou plutôt dédommagé de celui qui lui manque peut-être, par des facultés capables d’y suppléer d’abord, et de l’élever ensuite fort au-dessus de celle-là, commencera donc par les fonctions purement animales (Note 10). Apercevoir et sentir sera son premier état, qui lui sera commun avec tous les animaux ; vouloir et ne pas vouloir ; désirer et craindre, seront les premières, et presque les seules opérations de son âme, jusqu’à ce que de nouvelles circonstances y causent de nouveaux développements.

Quoi qu’en disent les moralistes, l’entendement humain doit beaucoup aux passions, qui, d’un commun aveu, lui doivent beaucoup aussi : c’est par