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réciproques de ses membres, et sur mille autres questions semblables, aussi importantes que mal éclaircies.

En considérant la société humaine d’un regard tranquille et désintéressé, elle ne semble montrer d’abord que la violence des hommes puissants et l’oppression des faibles : l’esprit se révolte contre la dureté des uns, ou est porté à déplorer l’aveuglement des autres ; et comme rien n’est moins stable parmi les hommes que ces relations extérieures que le hasard produit plus souvent que la sagesse, et que l’on appelle faiblesse ou puissance, richesse ou pauvreté, les établissements humains paraissent, au premier coup d’œil, fondés sur des monceaux de sable mouvant : ce n’est qu’en les examinant de près, ce n’est qu’après avoir écarté la poussière et le sable qui environnent l’édifice, qu’on aperçoit la base inébranlable sur laquelle il est élevé, et qu’on apprend à en respecter les fondements. Or, sans l’étude sérieuse de l’homme, de ses facultés naturelles, et de leurs développements successifs, on ne viendra jamais à bout de faire ces distinctions, et de séparer, dans l’actuelle constitution des choses, ce qu’a fait la volonté divine d’avec ce que l’art humain a prétendu faire. Les recherches politiques et morales auxquelles donne lieu l’importante question que j’examine sont donc utiles de toutes manières, et l’histoire hypothétique des gouvernements est pour l’homme une leçon instructive à tous égards. En considérant ce que nous serions devenus abandonnés à nous-mêmes, nous devons apprendre à bénir celui dont la main bienfaisante, corrigeant nos institutions et leur donnant une assiette inébranlable, a prévenu les désordres qui devraient en résulter, et fait naître notre bonheur des moyens qui semblaient devoir combler notre misère.

Quem te Deus esse

Jussit, et humanâ qua parte locatus es in re,

Disce.
Pers. sat. III, v. 71.