Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une jeunesse imprudente m’aurait privé, j’aurais du moins nourri dans mon ame ces mêmes sentiments dont je n’aurais pu faire usage dans mon pays ; et pénétré d’une affection tendre et désintéressée pour mes concitoyens éloignés, je leur aurais adressé du fond de mon cœur à peu près le discours suivant :

Mes chers concitoyens, ou plutôt mes frères, puisque les liens du sang ainsi que les lois nous unissent presque tous, il m’est doux de ne pouvoir penser à vous sans penser en même temps à tous les biens dont vous jouissez, et dont nul de vous peut-être ne sent mieux le prix que moi qui les ai perdus. Plus je réfléchis sur votre situation politique et civile, et moins je puis imaginer que la nature des choses humaines puisse en comporter une meilleure. Dans tous les autres gouvernements, quand il est question d’assurer le plus grand bien de l’état, tout se borne toujours à des projets en idées, et tout au plus à de simples possibilités : pour vous, votre bonheur est tout fait, il ne faut qu’en jouir ; et vous n’avez plus besoin, pour devenir parfaitement heureux, que de savoir vous contenter de l’être. Votre souveraineté, acquise ou recouvrée à la pointe de l’épée, et conservée durant deux siècles à force de valeur et de sagesse, est enfin pleinement et universellement reconnue. Des traités honorables fixent vos limites, assurent vos droits, et affermissent votre repos. Votre constitution est excellente, dictée par la plus sublime raison, et garantie par des puissances amies et respectables ; votre état est tranquille ; vous n’avez ni guerres ni conquérants à craindre ; vous n’avez point d’autres maîtres que de sages lois que vous avez faites, administrées par des magistrats intègres