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tribué ou non, faut-il les bannir on l’en préserver, pour le rendre meilleur, ou pour l’empêcher de devenir pire ? C’est une autre question dans laquelle je me suis positivement déclaré pour la négative. Car premièrement, puisqu’un peuple vicieux ne revient jamais à la vertu, il ne s’agit pas de rendre bons ceux qui ne le sont plus, mais de conserver tels ceux qui ont le bonheur de l’être. En second lieu, les mêmes causes qui ont corrompu les peuples, servent quelquefois à prévenir une plus grande corruption ; c’est ainsi que celui qui s’est gâté le tempérament par un usage indiscret de la médecine, est forcé de recourir encore aux médecins pour se conserver en vie ; et c’est ainsi que les arts et les sciences, après avoir fait éclore les vices, sont nécessaires pour les empêcher de se tourner en crimes ; elles les couvrent au moins d’un vernis qui ne permet pas au poison de s’exhaler aussi librement. Elles détruisent la vertu, mais elles en laissent le simulacre public[1], qui est toujours une belle chose. Elles introduisent à sa place la politesse et les bienséances, et à la crainte de paraître méchant elles substituent celle de paraître ridicule.

    car, des deux premiers rois de Rome, qui donnèrent une forme à la république, et instituèrent ses coutumes et ses mœurs, l’un ne s’occupait que de guerres, l’autre que des rits sacrés, les deux choses du monde les plus éloignées de la philosophie.

  1. Ce simulacre est une certaine douceur de mœurs qui supplée quelquefois à leur pureté ; une certaine apparence d’ordre, qui prévient l’horrible confusion ; une certaine admiration des belles choses, qui empêche les bonnes de tomber tout-à-fait dans l’oubli. C’est le vice qui prend le masque de la vertu, non comme l’hypocrisie, pour tromper et trahir ; mais pour s’ôter sous cette aimable et sacrée effigie, l’horreur qu’il a de lui-même, quand il se voit à découvert.