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jalousies, les rivalités, les haines d’artistes si renommées, la perfide calomnie, la fourberie, la trahison, et tout ce que le vice a de plus lâche et de plus odieux. Si le philosophe méprise les hommes, l’artiste s’en fait bientôt mépriser, et tous deux concourent enfin à les rendre méprisables.

Il y a plus ; et de toutes les vérités que j’ai proposées à la considération des sages, voici la plus étonnante et la plus cruelle. Nos écrivains regardent tous comme le chef-d’œuvre de la politique de notre siècle, les sciences, les arts, le luxe, le commerce, les lois et les autres biens, qui, resserrant entre les hommes les nœuds de la société[1], par l’intérêt personnel, les mettent tous dans une dépendance mutuelle, leur donnent des besoins réciproques et des intérêts communs, et obligent chacun d’eux de concourir au bonheur des autres, pour pouvoir faire le sien. Ces idées sont belles, sans doute, et présentées sous un jour favorable : mais en les examinant avec attention et sans partialité, on trouve beaucoup à rabattre des avantages qu’elles semblent présenter d’abord.

C’est donc une chose bien merveilleuse que d’avoir mis les hommes dans l’impossibilité de vivre entre eux, sans se prévenir, se supplanter, se tromper, se détruire mutuellement ! Il faut désormais

  1. Je me plains de ce que la philosophie relâche les liens de la société, qui sont formés par l’estime et la bienveillance mutuelle ; et je me plains de ce que les sciences, les arts et tous les autres objets de commerce resserrent les liens de la société par l’intérêt personnel. C’est qu’en effet on ne peut resserrer un de ces liens, que l’autre ne se relâche d’autant. Il n’y a donc point en ceci de contradiction.