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Le goût de la philosophie relâche tous les liens d’estime et de bienveillance qui attachent les hommes à la société ; et c’est peut-être le plus dangereux des maux qu’elle engendre. Le charme de l’étude rend bientôt insipide tout attachement. De plus, à force de réfléchir sur l’humanité, à force d’observer les hommes, le philosophe apprend à les apprécier selon leur valeur ; et il est difficile d’avoir bien de l’affection pour ce qu’on méprise. Bientôt il réunit en sa personne tout l’intérêt que les hommes vertueux partagent avec leurs semblables : son mépris pour les autres tourne au profit de son orgueil : son amour-propre augmente en même proportion que son indifférence pour le reste de l’univers. La famille, la patrie, deviennent pour lui des mots vides de sens ; il n’est ni parent, ni citoyen, ni homme ; il est philosophe.

En même temps que la culture des sciences retire, en quelque sorte, de la presse le cœur du philosophe, elle y engage, en un autre sens, celui de l’homme de lettres ; et toujours avec un égal préjudice pour la vertu. Tout homme qui s’occupe des talents agréables veut plaire, être admiré ; et il veut être admiré plus qu’un autre. Les applaudissements publics appartiennent à lui seul : je dirais qu’il fait tout pour les obtenir, s’il ne faisait encore plus pour en priver ses concurrents. De là naissent, d’un côté, les raffinements du goût et de la politesse, vile et basse flatterie, soins séducteurs, insidieux, puérils, qui, à la longue, rappetissent l’âme, et corrompent le cœur ; et de l’autre, les