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toute sa rigueur, je dis qu’elle prouverai ! que je me conduis mal, mais non que je ne parle pas de bonne foi. S’il était permis de tirer des actions des hommes la preuve de leurs sentiments, il faudrait dire que l’amour de la justice est banni de tous les cœurs, et qu’il n’y a pas un seul chrétien sur la terre. Qu’on me montre des hommes qui agissent toujours conséquemment à leurs maximes, et je passe condamnation sur les miennes. Tel est le sort de l’humanité ; la raison nous montre le but, et les passions nous en écartent. Quand il serait vrai que je n’agis pas selon mes principes, on n’aurait donc pas raison de m’accuser, pour cela seul, de parler contre mon sentiment, ni d’accuser mes principes de fausseté.

Mais si je voulais passer condamnation sur ce point, il me suffirait de comparer les temps pour concilier les choses. Je n’ai pas toujours eu le bonheur de penser comme je fais. Long-temps séduit par les préjugés de mon siècle, je prenais l’étude pour la seule occupation digne d’un sage ; je ne regardais les sciences qu’avec respect, et les savants qu’avec admiration[1]. Je ne comprenais pas que l’on pût s’égarer en démontrant toujours, ni mal

  1. Toutes les fois que je songe à mon ancienne simplicité, je ne puis m’empêcher d’en rire. Je ne lisais pas un livre de morale ou de philosophie, que je ne crusse y voir l’âme et les principe de l’auteur. Je regardais tous ces graves écrivains comme des hommes modestes, sages, vertueux, irréprochables. Je me formais de leur commerce des idées angéliques, et je n’aurais approché de la maison de l’un d’eux que comme d’un sanctuaire. Enfin je les ai vus ; ce préjugé puéril s’est dissipé, et c’est la seule erreur dont ils m’aient guéri.