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tentifs peut-être à l’intérêt des gens de lettres qu’à l’honneur de la littérature. Je l’avais prévu, et je m’étais bien douté que leur conduite en cette occasion prouverait en ma faveur plus que tous mes discours. En effet, ils n’ont déguisé ni leur surprise, ni leur chagrin, de ce qu’une académie s’était montrée intègre si mal-à-propos. Ils n’ont épargné contre elle, ni les invectives indiscrettes, ni

    aussi que chacun de mes adversaires se plaint, quand je réponds à d’autres objections que les siennes, que je perds mon temps à me battre contre des chimères ; ce qui me prouve une chose dont je me doutais déjà bien, savoir : qu’ils ne perdent point le leur à se lire ou à s’écouter les uns les autres. Quant à moi, c’est une peine que j’ai cru devoir prendre, et j’ai lu les nombreux écrits qu’ils ont publiés contre moi, depuis la première réponse dont je fus honoré, jusqu’aux quatre sermons allemands, dont l’un commence à-peu-près de cette manière : « Mes frères, si Socrate revenait parmi nous, et qu’il vît l’état florissant où les sciences sont en Europe, que dis-je, en Europe ? en Allemagne ; que dis-je, en Allemagne ? en Saxe, que dis-je, en Saxe ? à Leipsic ; que dis-je, à Leipsic ? dans cette Université : alors saisi d’étonnement, et pénétré de respect, Socrate s’assiérait modestement parmi nos écoliers ; et recevant nos leçons avec humilité, il perdrait bientôt avec nous cette ignorance dont il se plaignait si justement. » J’ai lu tout cela, et n’y ai fait que peu de réponses ; mais je suis fort aise que ces Messieurs les aient trouvées assez agréables pour être jaloux de la préférence. Pour les gens qui sont choqués du mot d’adversaires, je consens de bon cœur à le leur abandonner, pourvu qu’ils veuillent bien m’en indiquer un autre, par lequel je puisse désigner, non-seulement tous ceux qui ont combattu mon sentiment, soit par écrit, soit plus prudemment et plus à leur aise, dans les cercles de femmes et de beaux-esprits, où ils étaient bien sûrs que je n’irais pas me défendre, mais encore ceux qui, feignant aujourd’hui de croire que je n’ai point d’adversaires, trouvaient d’abord sans réplique les réponses de mes adversaires ; puis, quand j’ai répliqué, m’ont blâmé de l’avoir fait, parce que, selon eux, on ne m’avait point attaqué. En attendant, ils permettront que je continue d’appeler mes adversaires, mes adversaires ; car, malgré la politesse de mon siècle, je suis grossier comme les Macédoniens de Philippe.