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en garantir, ce n’est pas une merveille si elles ne font qu’augmenter nos alarmes et nous rendre pusillanimes. Les animaux vivent sur tout cela dans une sécurité profonde, et ne s’en trouvent pas plus mal. Une génisse n’a pas besoin d’étudier la botanique pour apprendre à trier son foin, et le loup dévore sa proie sans songer à l’indigestion. Pour répondre à cela, osera-t-on prendre le parti de l’instinct contre la raison ? C’est précisément ce que je demande.

« Il semble, nous dit-on, qu’on ait trop de laboureurs, et qu’on craigne de manquer de philosophes. Je demanderais à mon tour si l’on craint que les professions lucratives ne manquent de sujets pour les exercer. C’est bien mal connaître l’empire de la cupidité. Tout nous jette dès notre enfance dans les conditions utiles. Et quels préjugés n’a-t-on pas à vaincre, quel courage ne faut-il pas pour oser n’être qu’un Descartes, un Newton, un Locke ! »

Leibnitz et Newton sont morts comblés de biens et d’honneurs, et ils en méritaient encore davantage. Dirons-nous que c’est par modération qu’ils ne se sont point élevés jusqu’à la charrue ? Je connais assez l’empire de la cupidité pour savoir que tout nous porte aux professions lucratives ; voilà pourquoi je dis que tout nous éloigne des professions utiles. Un Hébert, un Lafrenaye, un Dulac, un Martin, gagnent plus d’argent en un jour que tous les laboureurs d’une province ne sauraient faire en un mois. Je pourrais proposer un pro-