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de l’oisiveté et du loisir ; mais je sais très-certainement que nul honnête homme ne peut jamais se vanter d’avoir du loisir tant qu’il y aura du bien à faire, une patrie à servir, des malheureux à soulager ; et je défie qu’on me montre dans mes principes aucun sens honnête dont ce mot loisir puisse être susceptible. « Le citoyen que ses besoins attachent à la charrue n’est pas plus occupé que le géomètre ou l’anatomiste. » Pas plus que l’enfant qui élève un château de cartes, mais plus utilement. « Sous prétexte que le pain est nécessaire, faut-il que tout le monde se mette à labourer la terre. « Pourquoi non ? Qu’ils paissent même, s’il le faut : j’aime encore mieux voir les hommes brouter l’herbe dans les champs que de s’entredévorer dans les villes. Il est vrai que, tels que je les demande, ils ressembleraient beaucoup à des bêtes, et que, tels qu’ils sont, ils ressemblent beaucoup à des hommes.

« L’état d’ignorance est un état de crainte et de besoin ; tout est danger alors pour notre fragilité. La mort gronde sur nos têtes ; elle est cachée dans l’herbe que nous foulons aux pieds. Lorsqu’on craint tout et qu’on a besoin de tout, quelle disposition plus raisonnable que celle de vouloir tout connaître ? » Il ne faut que considérer les inquiétudes continuelles des médecins et des anatomistes sur leur vie et sur leur santé, pour savoir si les connaissances servent à nous rassurer sur nos dangers. Comme elles nous en découvrent toujours beaucoup plus que de moyens de nous