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où le goût des arts frivoles a fait abandonner celui de l’agriculture. Notre âme, peut-on dire aussi, n’est point oisive quand la vertu l’abandonne ; elle produit des fictions, des romans, des satires, des vers ; elle nourrit des vices.

« Si des barbares ont fait des conquêtes c’est qu’ils étaient très-injustes. » Qu’étions-nous donc, je vous prie, quand nous avons fait cette conquête de l’Amérique qu’on admire si fort ? Mais le moyen que des gens qui ont du canon, des cartes marines et des boussoles, puissent commettre des injustices ! Me dira-t-on que l’événement marque la valeur des conquérants ? Il marque seulement leur ruse et leur habileté ; il marque qu’un homme adroit et subtil peut tenir de son industrie les succès qu’un brave homme n’attend que de sa valeur. Parlons sans partialité. Qui jugerons-nous le plus courageux de l’odieux Cortez subjuguant le Mexique à force de poudre, de perfidie, et de trahisons ; ou de l’infortuné Guatimozin étendu par d’honnêtes Européens sur des charbons ardents pour avoir ses trésors, tançant un de ses officiers à qui le même traitement arrachait quelques plaintes, et lui disant fièrement : Et moi, suis-je sur des roses ?

« Dire que les sciences sont nées de l’oisiveté, c’est abuser visiblement des termes ; elles naissent du loisir, mais elles garantissent de l’oisiveté. » De sorte qu’un homme qui s’amuserait au bord d’un grand chemin à tirer sur les passants, pourrait dire qu’il occupe son loisir à se garantir de l’oisiveté. Je n’entends point cette distinction