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idées de gloire et de vertu, en ont toujours perdu l’amour et la pratique. Cela est sans exception ; passons à la preuve. « Pour nous en convaincre, jetons les yeux sur l’immense continent de l’Afrique où nul mortel n’est assez hardi pour pénétrer ; ou assez heureux pour l’avoir tenté impunément. » Ainsi, de ce que nous n’avons pu pénétrer dans le continent de l’Afrique, de ce que nous ignorons ce qui s’y passe, on nous fait conclure que les peuples en sont chargés de vices : c’est, si nous avions trouvé le moyen d’y porter les nôtres, qu’il faudrait tirer cette conclusion. Si j’étais chef de quelqu’un des peuples de la Nigritie, je déclare que je ferais élever sur la frontière du pays une potence où je ferais pendre sans rémission le premier Européen qui oserait y pénétrer, et le premier citoyen qui tenterait d’en sortir[1]. « L’Amérique ne nous offre pas des spectacles moins honteux pour l’espèce humaine. » Surtout depuis que les Européens y sont. « On comptera cent peuples barbares ou sauvages dans l’ignorance pour un seul vertueux. » Soit ; on en comptera du moins un : mais de peuple vertueux et cultivant les sciences, on n’en a jamais vu. « La terre abandonnée sans culture n’est point oisive ; elle produit des poisons, elle nourrit des monstres. » Voilà ce qu’elle commence à faire dans les lieux

  1. On me demandera peut-être quel mal peut faire à l’état un citoyen qui en sort pour n’y plus rentrer. Il fait du mal aux autres par le mauvais exemple qu’il donne, il en fait à lui-même par les vices qu’il va chercher. De toutes manières, c’est à la loi de le prévenir ; et il vaut encore mieux qu’il soit pendu que méchant.