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et examinons la conduite de Brutus souverain magistrat, faisant mourir ses enfants qui avaient conspiré contre l’état dans un moment critique où il ne fallait presque rien pour le renverser. Il est certain que, s’il leur eût fait grâce, son collègue eût infailliblement sauvé tous les autres complices, et que la république était perdue. Qu’importe ! me dira-t-on. Puisque cela est si indifférent, supposons donc qu’elle eût subsisté, et que Brutus, ayant condamné à mort quelque malfaiteur, le coupable lui eût parlé ainsi : « Consul, pourquoi me fais-tu mourir ? Ai-je fait pis que de trahir ma patrie ? et ne suis-je pas aussi ton enfant ? » Je voudrais bien qu’on prît la peine de me dire ce que Brutus aurait pu répondre.

Brutus, me dira-t-on encore, devait abdiquer le consulat, plutôt que de faire périr ses enfants. Et moi je dis que tout magistrat qui, dans une circonstance aussi périlleuse, abandonne le soin de la patrie et abdique la magistrature, est un traître qui mérite la mort.

Il n’y a point de milieu ; il fallait que Brutus fût un infâme, ou que les têtes de Titus et de Tibérinus tombassent par son ordre sous la hache des licteurs. Je ne dis pas pour cela que beaucoup de gens eussent choisi comme lui.

Quoiqu’on ne se décide pas ouvertement pour les derniers temps de Rome, on laisse pourtant assez entendre qu’on les préfère aux premiers ; et l’on a autant de peine à apercevoir de grands hommes à travers la simplicité de ceux-ci, que