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morale avec un instrument d’arpenteur. Cependant on ne saurait dire que l’étendue des états soit tout-à-fait indifférente aux mœurs des citoyens. Il y a sûrement quelque proportion entre ces choses ; je ne sais si cette proportion ne serait point inverse[1]. Voilà une importante question à méditer, et je crois qu’on peut bien la regarder encore comme indécise, malgré le ton plus méprisant que philosophique avec lequel elle est ici tranchée en deux mots.

« C’était, continue-t-on, la folie de Caton ; avec l’humeur et les préjugés héréditaires dans sa famille, il déclama toute sa vie, combattit, et mourut sans avoir rien fait d’utile pour sa patrie. » Je ne sais s’il n’a rien fait pour sa patrie ; mais je sais qu’il a beaucoup fait pour le genre humain en lui donnant le spectacle et le modèle de la vertu la plus pure qui ait jamais existé. Il a appris à ceux qui aiment sincèrement le véritable honneur à savoir résister aux vices de leur siècle, et à détester cette horrible maxime des gens à la mode, qu’il faut faire comme les autres ; maxime avec laquelle ils iraient loin sans doute, s’ils avaient le malheur de tomber dans quelque bande de cartouchiens. Nos descendants apprendront un jour que, dans ce siècle de sages et de philosophes, le plus vertueux des hommes a été tourné en ridicule et traité de fou, pour n’avoir pas voulu souiller sa grande âme

  1. La hauteur de mes adversaires me donnerait à la fin de l’indiscrétion si je continuais à disputer contre eux. Ils croient m’en imposer avec leur mépris pour les petits états. Ne craignent-ils point que je ne leur demande une fois s’il est bon qu’il y en ait de grands ?