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luxe accompagne toujours celui des lettres, et le goût des lettres accompagne souvent celui du luxe[1] : toutes ces choses se tiennent assez fidèle compagnie, parce qu’elles sont l’ouvrage des mêmes vices.

Si l’expérience ne s’accordait pas avec ces propositions démontrées, il faudrait chercher les causes particulières de cette contrariété. Mais la première idée de ces propositions est née elle-même d’une longue méditation sur l’expérience : et pour voir à quel point elle les confirme, il ne faut qu’ouvrir les annales du monde.

Les premiers hommes furent très-ignorants. Comment oserait-on dire qu’ils étaient corrompus dans des temps où les sources de la corruption n’étaient pas encore ouvertes ?

À travers l’obscurité des anciens temps et la rusticité des anciens peuples on aperçoit chez plusieurs d’entre eux de fort grandes vertus, surtout une sévérité de mœurs qui est une marque infaillible de leur pureté, la bonne foi, l’hospitalité, la justice, et ce qui est très-important, une grande horreur pour la débauche[2], mère féconde de tous

  1. On m’a opposé quelque part le luxe des Asiatiques, par cette même manière de raisonner qui fait qu’on m’oppose les vices des peuples ignorants : mais, par un malheur qui poursuit mes adversaires, ils se trompent même dans les faits qui ne prouvent rien contre moi. Je sais bien que les peuples de l’Orient ne sont pas moins ignorants que nous ; mais cela n’empêche pas qu’ils ne soient aussi vains et ne fassent presque autant de livres. Les Turcs, ceux de tous qui cultivent le moins les lettres, comptaient parmi eux cinq cent quatre-vingts poètes classiques vers le milieu du siècle dernier.
  2. Je n’ai nul dessein de faire ma cour aux femmes ; je consens qu’elles m’honorent de l’épithète de pédant, si redoutée de tous nos galants philosophes. Je suis grossier, maussade, impoli par prin-