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RÉPONSE À M. BORDES.

Ne, dum tacemus, non verecundiæ sed
diffidentiæ causa tacere videamur.

Cyprian. contra Démet.

C’est avec une extrême répugnance que j’amuse de mes disputes des lecteurs oisifs qui se soucient très-peu de la vérité ; mais la manière dont on vient de l’attaquer me force à prendre sa défense encore une fois, afin que mon silence ne soit pas pris par la multitude pour un aveu, ni pour un dédain par les philosophes.

Il faut me répéter, je le sens bien ; et le public ne me le pardonnera pas. Mais les sages diront : Cet homme n’a pas besoin de chercher sans cesse de nouvelles raisons ; c’est une preuve de la solidité des siennes[1]

  1. Il y a des vérités très-certaines, qui au premier coup d’œil paraissent des absurdités, et qui passeront toujours pour telles auprès de la plupart des gens. Allez dire à un homme du peuple que le soleil est plus près de nous en hiver qu’en été, ou qu’il est couché avant que nous cessions de le voir, il se moquera de vous. Il en est ainsi du sentiment que je soutiens. Les hommes les plus superficiels ont toujours été les plus prompts à prendre parti contre moi : les vrais philosophes se hâtent moins ; et si j’ai la gloire d’avoir fait quelques prosélytes, ce n’est que parmi ces derniers. Avant que de m’expliquer, j’ai long-temps et profondément médité mon sujet, et j’ai tâché de le considérer par toutes ses faces ; je doute qu’aucun de mes adversaires en puisse dire autant ; au moins n’aperçois-je point dans leurs écrits de ces vérités lumineuses qui ne frappent pas moins par leur évidence que par leur nouveauté, et qui sont toujours le fruit et la preuve d’une suffisante méditation. J’ose dire qu’ils ne m’ont jamais fait une objection raisonnable que je n’eusse prévue, et à laquelle je n’aie répondu d’avance ; voilà pourquoi je suis réduit à redire toujours les mêmes choses.