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raison, avilit l’âme et rend les hommes semblables aux bêtes ; cette ignorance est celle que l’auteur attaque, et dont il fait un portrait fort odieux et fort ressemblant. Il y a une autre sorte d’ignorance raisonnable qui consiste à borner sa curiosité à l’étendue des facultés qu’on a reçues ; une ignorance modeste, qui naît d’un vif amour pour la vertu et n’inspire qu’indifférence sur toutes les choses qui ne sont point dignes de remplir le cœur de l’homme, et qui ne contribuent point à le rendre meilleur ; une douce et précieuse ignorance, trésor d’une âme pure et contente de soi, qui met toute sa félicité à se replier sur elle-même, à se rendre témoignage de son innocence, et n’a pas besoin de chercher un faux et vain bonheur dans l’opinion que les autres pourraient avoir de ses lumières : voilà l’ignorance que j’ai louée, et celle que je demande au ciel en punition du scandale que j’ai causé aux doctes par mon mépris déclaré pour les sciences humaines.

« Que l’on compare, dit l’auteur, à ces temps d’ignorance et de barbarie ces siècles heureux où les sciences ont répandu partout l’esprit d’ordre et de justice. » Ces siècles heureux seront difficiles à trouver ; mais on en trouvera plus aisément où, grâce aux sciences, ordre et justice ne seront plus que de vains noms faits pour en imposer au peuple, et où l’apparence en aura été conservée avec soin pour les détruire en effet plus impunément. « On voit de nos jours des guerres moins fréquentes, mais plus justes. » En quelque temps