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connaissaient tout dans les anciens hors la grâce et la finesse, n’ont pas laissé, par leurs ouvrages utiles, quoique méprisés, de nous apprendre à sentir ces beautés qu’ils ne sentaient point. Il en est de même de cet agrément du commerce et de cette élégance de mœurs qu’on substitue à leur pureté, et qui s’est fait remarquer chez tous les peuples où les lettres ont été en honneur ; à Athènes, à Rome, à la Chine, partout on a vu la politesse et du langage et des manières accompagner toujours, non les savants et les artistes, mais les sciences et les beaux-arts.

L’auteur attaque ensuite les louanges que j’ai données à l’ignorance ; et, me taxant d’avoir parlé plus en orateur qu’en philosophe, il peint l’ignorance à son tour ; et l’on peut bien se douter qu’il ne lui prête pas de belles couleurs.

Je ne nie point qu’il ait raison, mais je ne crois pas avoir tort. Il ne faut qu’une distinction très-juste et très-vraie pour nous concilier.

Il y a une ignorance féroce[1] et brutale qui naît d’un mauvais cœur et d’un esprit faux ; une ignorance criminelle qui s’étend jusqu’aux devoirs de l’humanité, qui multiplie les vices, qui dégrade la

  1. Je serai fort étonné si quelqu’un de mes critiques ne part de l’éloge que j’ai fait de plusieurs peuples ignorants et vertueux, pour m’opposer la liste de toutes les troupes de brigands qui ont infecté la terre, et qui, pour l’ordinaire, n’étaient pas de fort savants hommes. Je les exhorte d’avance à ne pas se fatiguer à cette recherche, à moins qu’ils ne l’estiment nécessaire pour montrer de l’érudition. Si j’avais dit qu’il suffit d’être ignorant pour être vertueux, ce ne serait pas la peine de me répondre, et, par la même raison, je me croirai très-dispense de répondre moi-même à ceux qui perdront leur temps à me soutenir le contraire. Voyez le Timon de M. de Voltaire.