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de sa foi. On attaqua les païens à leur tour : les attaquer, c’était les vaincre. Les premiers succès encouragèrent d’autres écrivains. Sous prétexte d’exposer la turpitude du paganisme, on se jeta dans la mythologie et dans l’érudition[1] ; on voulut mon-

    meilleurs sentiments ; en voici un échantillon dans ceux de Théodore, chef d’une des deux branches des cyrénaïques, rapporté par Diogène Laërce. « Sustulit amicitiam, quod ea neque insipientibus neque sapientibus adsit… Probabile dicebat prudentem virum non seipsum pro patria periculis exponere, neque enim pro insipientium commodis amittendam esse prudentiam. Furto quoque et adulterio et sacrilegio, cùm tempestivum erit, daturum operam sapientem. Nihil quippe horum turpe naturà esse. Sed auferatur de hisce vulgaris opinio, quæ e stultorum imperitorumque plebecula conflata est… sapientem publicè absque ullo pudore ac suspicione scortis congressurum. » (Diog. Laert. in Aristippo, §.98, 99.)


    Ces opinions sont particulières, je le sais ; mais y a-t-il une seule de toutes les sectes qui ne soit tombée dans quelque erreur dangereuse ? Et que dirons-nous de la distinction des deux doctrines, si avidement reçue de tous les philosophes, et par laquelle ils professaient en secret des sentiments contraires à ceux qu’ils enseignaient publiquement ? Pythagore fut le premier qui fit usage de la doctrine intérieure ; il ne la découvrait à ses disciples qu’après de longues épreuves et avec le plus grand mystère. Il leur donnait en secret des leçons d’athéisme, et offrait solennellement des hécatombes à Jupiter. Les philosophes se trouvèrent si bien de cette méthode, qu’elle se répandit rapidement dans la Grèce, et de là dans Rome, comme on le voit par les ouvrages de Cicéron, qui se moquait avec ses amis des dieux immortels, qu’il attestait avec tant d’emphase sur la tribune aux harangues.

    La doctrine intérieure n’a point été portée d’Europe à la Chine ; mais elle y est née aussi avec la philosophie ; et c’est à elle que les Chinois sont redevables de cette foule d’athées ou de philosophes qu’ils ont parmi eux. L’histoire de cette fatale doctrine, faite par un homme instruit et sincère, serait un terrible coup porté à la philosophie ancienne et moderne. Mais la philosophie bravera toujours la raison, la vérité, et le temps même, parce qu’elle a sa source dans l’orgueil humain, plus fort que toutes ces choses.

  1. On a fait de justes reproches à Clément d’Alexandrie d’avoir affecté, dans ses écrits, une érudition profane, peu convenable un chrétien. Cependant il semble qu’on était excusable alors de s’ins-