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arrangées, de contradiction entre ma conduite et ma doctrine : on me reproche d’avoir cultivé moi-même les études que je condamne[1]. Puisque la science et la vertu sont incompatibles, comme on prétend que je m’efforce de le prouver, on me demande d’un ton assez pressant comment j’ose employer l’une en me déclarant pour l’autre.

Il y a beaucoup d’adresse à m’impliquer ainsi moi-même dans la question : cette personnalité ne peut manquer de jeter de l’embarras dans ma réponse, ou plutôt dans mes réponses ; car malheureusement j’en ai plus d’une à faire. Tâchons du moins que la justesse y supplée à l’agrément.

1° Que la culture des sciences corrompe les mœurs d’une nation, c’est ce que j’ai osé soutenir, c’est ce que j’ose croire avoir prouvé. Mais comment aurais-je pu dire que dans chaque homme en particulier la science et la vertu sont incompatibles, moi qui ai exhorté les princes à appeler les vrais savants à leur cour et à leur donner leur confiance, afin qu’on voie une fois ce que peuvent la science et la vertu réunies pour le bonheur du genre humain ? Ces vrais savants sont en petit nombre, je l’avoue ; car, pour bien user de la science, il faut réunir de grands talents et de grandes vertus ;

  1. Je ne saurais me justifier, comme bien d’autres, sur ce que notre éducation ne dépend point de nous, et qu’on ne nous consulte pas pour nous empoisonner. C’est de très-bon gré que je me suis jeté dans l’étude ; et c’est de meilleur cœur encore que je l’ai abandonnée, en m’apercevant du trouble qu’elle jetait dans mon âme sans aucun profit pour ma raison. Je ne veux plus d’un métier trompeur, où l’on croit beaucoup faire pour la sagesse, en faisant tout pour la vanité.