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SOLITUDE.

sa santé… était-ce cela ? Non : La joie de vivre. Voilà ce qu’il avait perdu : La joie de vivre.

« Mais, disait la pensée — la pensée réduite, étouffée — c*est la santé qui te donnait la joie de vivre… la santé, la jeunesse… Chut !

Il fallait empêcher la pensée d’avancer, construire un barrage… En 22 — ou 23 ?… quand il avait eu cette période d’insomnies, il s’imposait une tâche intellectuelle. Par exemple, certains exercices de mémoire, des calculs : Combien de fois 12 dans 71… Et multipliez ce qui reste par 8, et divisez par 4, etc… Il occupait ainsi des heures entières. Maintenant ce moyen ne réussissait plus, même la nuit… parce que la pensée était là, invisible, prête à lui sauter dessus, et que, de la sentir, lui faisait embrouiller les chiffres. Alors elle apparaissait subitement « Voyons, » disait-elle, « à quoi bon ces enfantillages » ! Et elle s’asseyait devant lui et lui prenait la main. Ô Dieu ! Dieu !… sa main dans cette main froide, inexorable, des nuits entières…

Et c’était ridicule, car, après tout, il n’était pas malade, Goffaux le lui avait bien expliqué, un peu de paresse des organes, simplement… un cœur et des reins paresseux. De la fatigue, aussi. Il est certain qu’il s’était beaucoup surmené… l’année dernière surtout. Il aurait dû prendre sa retraite dès l’année dernière, Belle le lui avait dit plus d’une fois. Mais il ne se figurait pas qu’il pourrait vivre sans sa fabrique. Il vivait, pourtant, et même beau coup mieux. La liberté est une chose admirable ! Maintenant il pourrait voyager,… emmener Belle à Nice ou en Algérie chaque hiver… ce qui leur ferait à tous les deux un bien immense. Le soleil, la chaleur… voilà les vrais médicaments ; la nature… les champs de roses et de violettes, ces haies de roses qu’il avait vues à… Rapallo ? Etait-ce Rapallo ? Ces