Page:Rousseau - Marceline, 1944.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
MARCELINE.

Le vieux fauteuil du père Souvin ! Laure se rappelait que sa belle-mère lui en avait fait cadeau l’an passé — probablement pour s’en débarrasser, car c’était un meuble encombrant et fort laid. Mais on pouvait s’y reposer assez moelleusement, et quand Mme Moissy venait rendre visite à son fils, elle ne dédaignait pas de s’y étendre.

Mademoiselle Anna ruminait des réflexions philosophiques :

— La crédulité des humains est incommensurable ! Pourrais-tu me dire, ma chère, comment il se fait que le père Souvin, qui était sec comme un coup de trique, a pu s’établir une réputation de générosité ? car aujourd’hui encore, je connais des gens qui en parlent avec déférence.

— C’est probablement parce qu’il y a veillé… Nous avons la réputation que nous voulons avoir. Il suffit de s’estimer cher et de le dire bien haut. C’est si facile !

— Alors tu crois que nos actions et nos véritables mérites ne font rien à l’affaire ? Hum ! Il y a cependant des vantards qui n’ont jamais trompé personne ?

— C’est qu’ils ne savaient pas s’y prendre.

Une lueur de gaîté passa dans le regard de Laure :

— L’hiver dernier Mme Moissy mourait d’envie de faire un petit tour dans le Midi — mais voyager seule lui déplaît ; il faut s’occuper soi-même de sa malle. — Et quant à nous emmener… mettons qu’elle n’était pas en fonds. Bref, je ne sais pas comment elle s’y est prise, mais elle a réussi à se faire inviter par une vieille cousine millionnaire, que son docteur envoyait à Menton avec sa femme de chambre. Croyez-vous qu’elle se soit réjouie ? Pas si bête ! Elle a déclaré à tout venant qu’il lui était bien dur de quitter sa maison et ses habitudes, mais que c’était un sacrifice qu’elle devait en conscience à sa parente